NE MANQUEZ PAS L'EXPOSITION « AILLEURS EN FRANCE » SUR LES GRILLES DU JARDIN DU LUXEMBOURG À PARIS DU 16 MARS AU 14 JUILLET (ONLYFRANCE) / BILTZAR DES ÉCRIVAINS À SARE (64) 1ER AVRIL STAND N°32 VENEZ RETROUVER SÉVERINE DABADIE

Tout au long de leur parcours les auteurs ont croisé de nombreux bergers. Tous n'ont hélas pu voir figurer dans le livre l'entretien qu'ils nous avaient accordé.
La revue IKUSKA a été créée par le Père Barandiaran, célèbre ethnologue et chercheur spécialiste de la culture basque. Grâce à la gentillesse de M Eric Dupré-Moretti son actuel responsable, elle accueille 3 entretiens publiés le15 décembre 2016.
Un grand merci à Ikuska qui avec déterminantion poursuit l'oeuvre exigeante et essentielle du Père Barandiaran.


Télécharger le document PDF publié dans IKUSKA comprenant les entretiens   ICI

Propos recueillis par Séverine Dabadie et Christiane Etchezaharreta. D'autres témoignages et photographies sont à retrouver dans « Euskal Artzainak / Bergers Baqsues », livre édité chez Elkar (collection Ondarea) en bilingue (euskara-français).

Entretien avec Hélène Rolland, Sabino Egurce Goikoa et Benat Merle
 




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Hélène Rolland



Jeune bergère salariée venue de Bretagne, Hélène Rolland garde à Nabolegi (1120 m d'altitude) les troupeaux de brebis basco-bérnaises de deux éleveurs basques. Elle pourrait être le symbole de l'évolution du pastoralisme basque. Elle est femme dans une montagne qui se féminise, elle est jeune, 25 ans alors que nombreux sont les anciens qui se retirent du métier, elle vient de Bretagne dans un Pays Basque qui ne fournit plus assez de bergers mais elle est surtout la vaillance même et la passion du métier. Respectueuse des traditions du pastoralisme basque, elle mène son troupeau comme sa vie avec éthique et courage.

Q : A l’heure où 10 000 exploitations agricoles s’éteignent chaque année, quelle peut être la motivation d’une jeune femme de 25 ans pour se lancer dans ce métier ?
R : Je suis arrivée ici un petit peu par hasard. Au départ, bien qu’étant issue du milieu agricole, je ne me destinais pas à l’élevage. J’avais commencé des études de biologie plutôt dirigées vers la flore. Mon métier actuel me permet d’exploiter ces connaissances. J’ai également travaillé en job d'été dans un élevage industriel de porcs. Ce qui se passait dans ces élevages, hélas, me paraissait à l'époque tout à fait normal. Sur le moment, cela m’a plu car on me donnait des responsabilités. Cette expérience m’a appris à connaître les animaux même si je leur faisais des misères. J’étais en maternité et travaillais avec les porcelets. Je devais les faire grandir, les garder en bonne santé. Je ne pensais pas alors à la finalité qu’est la production de viande. Cette expérience m’a ouvert les yeux, j’ai réalisé que je ne souhaitais pas travailler avec des races à viande, je désirais travailler en plein air. Ce qui me paraissait intéressant était d’amener mon produit jusqu’au bout de la chaîne, en l’occurrence valoriser le lait par la transformation fromagère et non pas produire pour produire. Le lait est un produit noble. Durant mes études à la faculté, j’ai pris un mois de congé sabbatique pour faire le point sur mon avenir. Je suis venue au Pays Basque pour me rendre compte de ce qu’étaient les brebis. Deux éleveurs m’ont acceptée pour deux quinzaines et m’ont fait découvrir leur métier. C’était avant de commencer ma formation. En un mois, j’ai été convaincue et je suis venue m’installer au Pays Basque. Il était essentiel pour moi d’être réellement formée et d’acquérir de véritables connaissances de base. Dans cette formation, le travail de la brebis est au centre de l’enseignement. On ne parle que de cela et un petit peu de transformation fromagère. J’ai beaucoup appris durant cette formation de SIL ovin (Spécialisation d’Initiative Locale, production ovine laitière et transformation fromagère fermière) qui a duré cinq mois. On nous y enseigne à gérer un troupeau de brebis que ce soit pendant l’agnelage ou en estive. On y découvre l’alimentation, les pathologies et la transformation fromagère. Cette formation ne mène pas obligatoirement en montagne. Un tiers du temps de la formation est consacré aux stages. Ainsi, je suis allée apprendre auprès d’un fromager au Pays Basque : Yann Vaugon. J’ai beaucoup appris avec lui. J’ai effectué mes trois stages dans trois lieux différents car j’étais intéressée par la variété des méthodes pour mieux trouver ma propre voie.
Q : Votre première embauche en tant que bergère a-t-elle eu lieu ici à Nabolegi ?
R : Oui. Lorsque j’ai passé l’entretien avec mes patrons, Jean-Claude Algalarrondo et Pierre Jaragoyhen, je leur ai fait part de ma grande motivation. Je ne savais pas bien ce qui m’attendait, j’avais à peine deux mois d’expérience avec les brebis et sortais tout juste de formation.
Q : Quelle est la durée de votre contrat ?
R : Toute la durée de l’estive c’est-à-dire quatre mois.
Q : Choisir ce métier, traditionnellement masculin, n’est-il pas un choix de vie radical ?
R : Au début, cela interrogeait beaucoup les gens et les étonnait mais pour moi, c’était une évidence. Pourquoi un homme pourrait-il faire ce métier et non pas une femme ? Nous avons toujours à prouver plus que les hommes, d’autant plus lorsqu’on exerce ce métier pour et avec des gens issus du pastoralisme. On me dit parfois courageuse, mais je fais ce métier réellement par plaisir. Pour moi ce n’est pas compliqué d’être seule et de vivre en montagne dans ces conditions. Je n’ai pas peur.
Q : La solitude pose-t-elle un problème ?
R : Il faut s’y adapter mais elle fait du bien. Au Pays Basque, mes amis sont également bergers. Il est difficile de nous rencontrer durant l’estive car nous sommes tous très occupés à ce moment-là. C’est un petit monde. En montagne, on réalise que l’on peut vivre avec très peu et s’en contenter. Pour certains visiteurs qui viennent me rencontrer, vivre sans télévision n'est pas envisageable. Que ce soit l’été ou l’hiver, je n’ai de toute façon pas de télévision. On apprend à vivre et à s’occuper autrement. Je ne connais pas l’ennui. C’est un privilège d’exercer ce métier. Avoir vécu cela est une expérience puissante. Les kaiolar se vident et il y a de moins en moins de bergers dans la montagne. Les jeunes d’ici ne veulent plus être bergers. La plupart des bergers salariés du coin viennent d’ailleurs. Le fait de ne pas avoir notre famille et nos amis au Pays Basque nous rattache moins à la vie en plaine et à ses sollicitations. Pour nous qui venons d’ailleurs, cet isolement est moins ressenti comme un sacrifice. Les conditions de vie en montagne se sont nettement améliorées, cela pourrait faire naître des vocations mais ce n’est pour l’instant pas le cas. En revanche, les propriétaires de troupeaux, excepté Yann Vaugon, sont à ma connaissance tous issus du Pays Basque. J’ai eu la chance de tomber sur de bonnes personnes qui m’ont soutenue, comme mes patrons. Ces personnes ont accepté que je leur soumette des propositions. C’est valorisant et met en confiance.
Q : A qui appartient ce joli Border Collie ?
R : Il s’appelle Ttipi, désormais il est à moi. Au départ, on me l’avait prêté car sans chien, il est impossible de pratiquer. L’an dernier en période de traite, j’ai tenté seule de récupérer le troupeau, il m'a fallu une heure et demie pour « ramasser » toutes les brebis au lieu d’un quart d’heure avec le chien. Les brebis ressentent la présence du chien et se sentent encadrées. Mon patron m’a donc prêté son chien âgé d’un an et demi, il n’était alors que très peu dressé. Je l’ai adopté puis j’ai trouvé une formation de dressage : j’étais prête pour la montagne. Je l’ai gardé pendant plus de huit mois en estive et mon patron a accepté de me le donner car je m’y étais beaucoup attaché.
Q : Avez-vous travaillé avec d'autres races de brebis ?
R : L’été je travaille avec des basco-béarnaises puis l’hiver avec des têtes rousses. J’ai très peu travaillé avec des têtes noires. Je n’ai pas de préférence et j’affectionne toutes les races.
Q : Travaille-t-on de la même manière avec ces trois races ?
R : Non, les basco-béarnaises sont calmes, un peu molles même. Elles sont tranquilles et dans le parc, elles ne bougent pas beaucoup. Alors que s’il s’agissait de têtes noires, il y en aurait de tous les côtés. Les têtes rousses peuvent être calmes comme agitées. Durant l’agnelage, aux alentours des mois de novembre et décembre, on peut constater que les agneaux des basco-béarnaises naissent déjà tout calmes, il faut les aider à téter et les assister alors que les têtes noires et têtes rousses sont bien plus autonomes et s’occupent bien mieux de leurs petits qui sont plus vigoureux.
Q : Les procédés sont-ils très différents suivant les races avec lesquelles on travaille ?
R : Oui, c’est toujours différent, que ce soient les conditions ou la méthode de travail. Depuis ma formation, j’ai toujours travaillé au Pays Basque. Il est important pour moi de connaître et maîtriser le cycle complet car j’ai dans l’idée de m’installer un jour à mon compte avec mon propre troupeau. Depuis trois ans, mes missions s’enchaînent au Pays Basque et j’engrange précieusement cette expérience, estive, agnelage, transformation fromagère, lutte (période de reproduction), transhumance…
Q : En Bretagne, trouve-t-on des manex têtes noires ?
R : On trouve seulement quelques élevages de race Lacaune d’anciens bergers du Larzac. Depuis deux ou trois ans, deux filles se sont installées du côté de Guingamp avec des manex têtes noires.
Q : Quelle est votre période préférée, l’estive ou l’hiver dans les fermes ?
R : C’est complètement différent. J’aime beaucoup l’estive, cela dure quatre mois dont les deux premiers sont très intenses. Il y a beaucoup de travail, les journées sont longues entre la traite, la fabrication du fromage, le gardiennage, les soins, l’affinage. Mi-juillet, je commence à tarir les brebis et les journées en sont allégées.
Q : J’ai vu que lorsque vous filtriez votre lait, vous ajoutiez sur le tamis quelques feuilles d’ortie.
R : L’ortie est un filtre naturel utilisée par les anciens. De plus, les orties favorisent la flore lactique, les bonnes bactéries.
Q : Quelle méthode de traite pratiquez-vous ?
R : La traite mécanique à l’aide d’un groupe électrogène puisque l’électricité ne parvient pas jusqu’au kaiolar. Je dispose également d'une fromagerie moderne.
Q : Quelle est approximativement la productivité des brebis basco-béarnaises ?
R : Quand elles sont à la montagne, aux alentours d’un litre par jour en deux traites. A l’année, une brebis produit 100 à 120 litres de lait. Lorsqu’elles sont à la montagne, elles sont en fin de lactation. L’altitude et l’herbe sont des facteurs importants pour la qualité du lait. Le goût et donc du fromage, en est modifié. Il n’est pas possible de comparer un fromage élaboré à la ferme en bas ou celui qui provient de la montagne. Même un palais non averti saura faire la différence. Le fromage d’estive est bien plus parfumé, le goût est plus affirmé. La différence se note également selon les lieux d’estive. En effet, selon la pâture, le fromage aura sa propre identité.
Q : Quelles sortes d’herbe mangent vos brebis ?
R : La fétuque, l’herbe à lait (appelée aussi le polygale favorisant la lactation), le lotier, des graminées, des légumineuses.
Q : On observe que dans chaque troupeau, il y a toujours au moins une brebis noire, pourquoi ?
R : Parce que cela donne un bel aspect à l’ensemble, ce qui n’est pas négligeable. Mais pour les anciens, c’était une manière de compter les brebis. En effet, il y a une brebis noire pour vingt autres brebis. En général, on dénombre également un bélier pour environ vingt brebis.
Q : A quel moment votre troupeau descendra-t-il à la ferme à Ordiap ?
R : En général, nous transhumons à pied aux alentours du 20 septembre. Il s’agit de cinq ou six heures de marche. Mes patrons adorent les sonnailles et poursuivent la tradition. Nombre de brebis en arborent fièrement, certaines sont attachées avec des colliers de bois gravé. Ils portent une réelle attention à cet aspect-là.
Q : En estive, les brebis emprunte-t-elles toujours le même parcours ?
R : En général oui, car il est vaste. Lorsqu’il fait beau, le parcours nous mène juste au-dessus de la fontaine d’Ahüski. Aujourd’hui, je garde un troupeau de 370 brebis basco-béarnaises mais il y a eu jusqu’à 800 à 900 brebis sur ce même parcours. Il y a une vingtaine d’années, il y avait encore bien souvent deux parcours par estive. Chacun avait son kaiolar. Les bergers commençaient la saison en montagne par celui du bas (pekoa) puis finissaient la saison par celui placé le plus en altitude (gaineko). Tout le matériel devait être déménagé. Souvent, les brebis avait tendance à vouloir s’échapper vers le parcours situé le plus en altitude pour manger l’herbe d’en haut qu’elles préféraient. Il y a longtemps, le kaiolar de Nabolegi était constitué de 18 troupeaux car 18 bergers se partageaient les txotx (parts) du lieu. Les bergers se relayaient durant la saison. Aujourd’hui, au Pays Basque, les troupeaux ne sont pas très importants, aux alentours de 200 têtes car les éleveurs sont souvent propriétaires d’une quinzaine de vaches qui demandent moins de travail.
Q : Il est clair que ce n’est pas l’appât du gain qui motive les éleveurs basques. Comment expliquer cela ?
R : Le Pays Basque sans brebis ne serait pas le Pays Basque. C’est une affaire de passion et de tradition. Contrairement à ce que l’on constate en Bretagne, ici la rentabilité n’est pas un but en soi, le système est resté très traditionnel, c’est une façon de vivre simplement. Il me semble qu’ici les jeunes ont une image du berger un peu particulière et issue de la tradition. Le berger était souvent envisagé comme un cadet, vieux célibataire devenu berger par obligation. L’aîné avait repris l’exploitation, le suivant entrant dans les ordres, un autre parfois embrassant la carrière militaire et parfois un autre exilé en Amérique. Aujourd’hui, être berger au Pays Basque est bien plus souvent un choix de vie qu'une obligation.
Q : Quelle a été la réaction de votre famille et de vos amis lorsque vous avez choisi d’être bergère ?
R : Au début, ils étaient un peu sceptiques, finalement ils sont venus me voir à plusieurs reprises et se sont rendus compte que ma vie de bergère ne correspondait pas à ce qu’ils avaient imaginé, qu'il s'agissait d'un travail d’observation et de gardiennage. Cela ne correspondait pas à l’image utopique qu’ils s’en faisaient.
Q : Est-il compliqué financièrement et administrativement de s’installer à son compte ?
R : Pour l’instant, je reste dans le confort du salariat. Pour moi, être bergère n’est pas seulement un travail, c’est bien plus que cela. J’ai choisi ce que je voulais faire.
Q : Pensez-vous rester bergère longtemps en estive ?
R : En estive, je ne le crois pas, il me semble que c’est une étape dans ma vie. J’ai l’impression que cela me prépare à rentrer dans le vif du sujet. J’aime travailler seule et avoir la possibilité de faire découvrir mon métier et de le partager avec des visiteurs.
Q : En quoi partager votre expérience peut-il être utile ?
R : Je pense qu’il s’agit de réveiller les consciences, montrer qu’un autre mode de vie plus sain, qu’une autre alimentation, qu’une autre agriculture sont possibles ici ou ailleurs. On ne peut pas continuer dans la même direction. Il faut se tourner vers les choses simples qui sont auprès de nous depuis la nuit des temps.
Q : Issue d’une famille d’agriculteurs, vos parents se sont tout de même inquiétés pour votre avenir. Etait-ce parce qu’ils connaissaient les difficultés du monde agricole ?
R : J’ai toujours essayé d'expliquer à mes parents que l’argent n’était pas ma motivation première. Si l’on est autonome au niveau alimentaire, on n’a pas besoin de revenus importants. Dans la commune de mes parents, il n’y a que de gros éleveurs porcins. J’aimerais prouver à ma famille que l’on peut s’en sortir dans un autre système. Je trouve logique de faire mieux avec moins, faire de la meilleure qualité. Il est nécessaire de revenir à ces valeurs, à une certaine qualité de vie. Il est important d’être cohérent avec ses idées. Je suis très consciente de ce que j’ai vu dans les élevages intensifs de porcs en Bretagne, c’est aussi pour cette raison que je me suis tournée vers ce pastoralisme-là. Ici, j’élève aussi deux cochons, ils courent et galopent dans la montagne. C’est une autre vie.

Beñat Merle



A Esterençuby, dans un paysage grandiose, face au majestueux flancs de l'Errotzate (1347 m), le kaiolar en bois de Beñat Merle à Elusaro trône fièrement. Des brebis manex têtes rousses, éparpillées dans la brume paissent paisiblement, nourris au petit lait, quelques cochons en liberté prennent lentement le temps d'engraisser, un ruisseau dévale joyeusement le long de la bergerie, une harmonie parfaite nous accueille pour cette rencontre avec Beñat Merle, berger sans terre, passionné par son métier et la vie en montagne.

Q : Pouvez-vous nous raconter le parcours qui vous a mené ici à Elusaro ?
R : J'ai 39 ans. Ma mère et mes grands-parents sont originaires du petit village d'Hosta. Je suis né à St Palais. Depuis tout petit, le milieu agricole et surtout pastoral m'a plu et intéressé. J'ai fait des études classiques, un bac économique, un an de fac. Puis, j'ai rencontré des gens qui venaient de s'installer et qu'on appelle HCF, c'est-à-dire « hors cadre familial », le terme employé pour qualifier quelqu'un qui n'est pas issu du milieu agricole. Ce qui m'intéressait, c'était d'aller en montagne. J'ai d'abord fait quelques essais qui m'ont plus. J'ai donc entamé la formation de 2 ans au Centre de Formation d'Etcharry où nous avions beaucoup de pratique. A la suite de cette formation, achevée en 2005, on m'a embauché en tant que berger salarié durant l'été et en tant que salarié pour des remplacements l'hiver. J'aimais bien bouger à l'époque : vallée d'Aspe, vallée d'Ossau, Hautes Pyrénées, Alpes... Pour finalement revenir au village d'Arrossa où j'effectuai des remplacements pour un couple qui m'a proposé de m'installer avec eux en GAEC (Groupement Agricole d'Exploitation en Commun). Cela changeait de tous les endroits où j'avais déjà travaillé. A mon goût, cela manquait un peu de rusticité. Il a fallu donc que je me remette en question. Je n'aimais pas faire du tracteur, je n'aimais pas faire les foins... Soit, je cherchais une ferme pour m'installer et cela impliquait de lourds investissements, soit je repartais en tant que salarié chez d'autres paysans, soit je devenais berger sans terre. Berger sans terre implique une situation précaire mais on est indépendant et libre. Je ne suis pas propriétaire de ma cabane, je la loue à la Commission Syndicale de Cize. Chaque année, j'essaie de faire monter mes bêtes le plus tôt possible en estive, début mai et les faire descendre le plus tard possible, fin octobre. C'est la troisième année que je loue le kaiolar d'Elusaro. Le Syndicat de Cize fournit cette cabane qui respecte toutes les normes, le reste du matériel est à ma charge. Ils me l'ont loué car en tant que berger sans terre, ils ont l'assurance que je serai présent au kaiolar durant toute la période d'estive.
Q : En quoi consiste la précarité du berger sans terre ?
R : Le problème du berger sans terre, c'est de trouver des pâturages pour l'hiver et surtout de pouvoir les conserver. En 4 ans, j'ai changé 3 fois de pâturages. Chaque hiver, c'est une remise en question. De plus, les pâturages à louer sont chers et rares. Pour la vie de famille, ce n'est pas toujours facile surtout si les pâturages sont loin. J'ai été à Macaye, Larressore, La Bastide Clairence, Arrossa... J'ai environ 300 brebis et il faut pouvoir toutes les placer. J'essaie de mettre les brebis à traire là où se trouve le bâtiment et le reste du troupeau, je l'envoie là où il n'y a pas d'abri mais de la bonne herbe. On paie en fonction du nombre de jours et de brebis, les prix sont très variables. En fonction de la repousse de l'herbe, je fais tourner les brebis sur ces 5 champs différents. Il faut gérer...
Q : Disposez-vous d'une machine à traire électrique en bas ?
R : En bas, je dispose d'une machine mais je préfère traire à la main comme au kaiolar. Tant que je peux encore physiquement le faire, je le fais... Pourtant, comme de nombreux bergers, j'ai déjà été opéré du canal carpien au niveau du poignet. On va me prendre pour un fou mais je préfère traire à la main. Avec une machine à traire, il faut changer les manchons, nettoyer la machine, payer l'eau, l'électricité, les produits d'entretien... De plus, pour la qualité du lait, la traite à la main permet d'être sûr de son lait car on le voit, on le touche. Il est plus propre contrairement à ce que l'on pourrait penser. Je commence à traire en mi-décembre, au début de la période d'agnelage. Je vends alors les agneaux aux maquignons. Ils partent tous à l'exportation en Espagne.
Q : Qu'est ce qui est le plus rentable pour vous, l'élevage d'agneaux ou la production laitière ?
R : La vente des agneaux ne représentent pas grand chose. Pour nous, il vaut mieux vendre les agneaux le plus tôt possible et traire à la main plutôt que d'attendre qu'ils prennent du poids car ils boivent le lait de la mère et la fatiguent. Ce qui est bien pour nous, c'est de vendre des agneaux de 10 ou 12 kg, le poids idéal pour le marché espagnol. Naturellement, la période de l'agnelage devrait commencer en février ou mars. On l'a décalée pour mieux vendre les agneaux. L'intérêt de celui qui nous loue les pacages, c'est que nous montions le plus tôt possible afin qu'il puisse faire les foins. On ne peut pas louer les terres à l'année sinon on perd notre statut de berger sans terre. Et sans ce statut, je n'aurais pas le droit de louer ce kaiolar au Syndicat de Cize ou alors il faudrait que je sois installé dans la vallée. Certains kaiolar se sont vendus à des prix exagérément élevés. La Commission a alors tenté de mettre fin à cette pratique en plafonnant les prix de vente, en encadrant les ventes pour favoriser le pastoralisme local, en rachetant les cabanes pour les louer à des bergers.
Q : Comment vous rémunérez-vous ?
R : Par la vente des fromages que je vends directement au kaiolar, par le bouche à oreille ou bien au marché l'été... et puis il y a les primes. La réalité c'est que les primes représentent la moitié du revenu. Ces primes sont accordées également aux gros éleveurs d'en bas. Peu importe le taux de production laitière. Les primes sont versées en fonction du nombre de têtes et du nombre d'hectares.
Q : Qui est chargé d'entretenir votre parcours en montagne ?
R : J'en suis responsable. C'est à moi de nettoyer la zone durant l'hiver en pratiquant l'écobuage et l'été en veillant à ce que mes bêtes ne débordent pas de la zone. Si le parcours n'est pas entretenu, les bêtes n'y vont pas. Ici, il y a de la bonne herbe, du serpolet, de la fétuque...
Q : Vous parlez le basque. Cela a-t-il facilité votre intégration dans le milieu ?
R : Oui bien sûr.
Q : Quelles sont les revendications particulières du berger sans terre ?
R : Pour commencer, nous aimerions percevoir les mêmes aides de l'Etat que les éleveurs installés. Si l'on veut faire vivre les montagnes, les voir entretenues par des troupeaux, il est nécessaire de nous soutenir, nous qui montons en estive. En effet, les pouvoirs publics ont un discours affirmant que la présence en montagne est nécessaire, surtout dans les zones de montagne où plus personne ne va. Si l'on envoie les bêtes seules, sans bergers, elles mangent forcément la meilleure herbe. Une présence humaine en montagne est donc nécessaire. C'est nous les premiers qui faisons ce travail et pourtant nous ne percevions pas les mêmes aides. A partir de maintenant, cela devrait changer grâce au combat d'Euskal Herriko Artzainak (association de défense des bergers sans terre). Les éleveurs qui envoient leur bêtes en montagne, ne peuvent pas à la fois surveiller les troupeaux et faire le travail de la ferme. C'est pourquoi en tant que berger sans terre, nous consacrons tout notre temps au suivi des bêtes. Il serait également bienvenu qu'on nous facilite l'accès aux pacages l'hiver. Cependant, le système aurait tendance à favoriser l'installation et non pas le berger sans terre. On nous demande pourquoi nous râlons à propos des pacages et on nous dit parfois que nous ferions mieux de nous installer pour éviter ces soucis... Mais ce n'est pas ce que nous voulons. Etre en montagne et à la ferme à la fois, ce n'est pas possible, voire très compliqué ou bien il faut embaucher un salarié. Avant, il y avait toujours un membre de la famille qui se consacrait exclusivement à l'estive pendant que les autres faisaient tourner la ferme, ramassaient les foins... Nous sommes un peu les oubliés du système, considérés comme des hurluberlus. Pourtant, il y a toujours eu des bergers sans terre. Maintenant, il y en a de moins en moins, tout comme il y a de moins en moins de bergers en montagne. Ceux qui choisissent ce statut sont souvent des gens venus de l'extérieur, des néo-ruraux. En plus du troupeau, acheter des terres, une ferme, des outils, cela représente une somme considérable qui pour moi est une dépense impossible. Aujourd'hui, un troupeau se paie entre 100 et 200 € par tête. C'est un gros capital. Je ne prends pas de ferme car je fais le choix de la montagne. Je veux faire du fromage d'estive, rester le plus longtemps possible en haut. C'est un choix délibéré. Pour bénéficier d'une montagne vivante, les bergers sont indispensables.


SABINO EGURCE GOIKOA





Depuis quelques mois Sabino Egurce Goikoa n'est plus berger. Mais cesse-t-on réellement de l'être ? Connu de tous, il était l'un des tout derniers bergers de la vallée d'Aezkoa et le dernier au sens strict du terme. Il s'est retiré du métier à 80 ans après une vie entière passée dans les montagnes. Il a tout connu de l'histoire du pastoralisme contemporain et de sa grande époque. Peu à peu, il a vu les bergers disparaître inexorablement de sa vallée. Le Pays Basque est un tout et la montagne n'a pas de frontière. D'un côté comme de l'autre des Pyrénées, les bergers sont les mêmes et partagent peu ou prou la même histoire, la même vie, la même langue, la même passion. C'est pourquoi, il nous semblait important que Sabino Egurce, l'ancêtre au regard malicieux apporte ici son témoignage.

Q : Où et quand êtes-vous né ?
R : Je suis né en 1933 à Orbaizeta. J'ai 81 ans (en aout 2015).
Q : A quelle âge avez-vous commencé à être berger ?
R : J'ai commencé à 14 ans lorsque j'ai quitté le collège. Mon oncle était berger et avait un troupeau de brebis. Mon père avait une ferme et s'occupait des vaches. Très jeune, j'ai commencé à m'occuper des brebis de mon oncle. A sa mort, j'ai pris l'entière responsabilité de son troupeau de 60 brebis. L'été en montagne, l'hiver à la ferme. Puis durant 50 ans, en période hivernale, j'ai travaillé en Basse Navarre, près de Garazi. En été, j'étais dans mon kaiolar du côté de la Forêt d'Orion.
Q : Vous avez donc été berger de l'âge de 14 ans jusqu'à l'âge de 81 ans ? Comment les choses ont-elles évoluées ? Y avait-il beaucoup plus de bergers dans cette zone ?
R : Ici, vers la forêt d'Orion, il n'y avait pas beaucoup plus de bergers mais dans d'autres endroits comme Iraty, il en est autrement. Il y a beaucoup moins de bergers qu'avant. Dans la vallée d'Aezkoa, il y avait entre 20 et 25 bergers et on pouvait compter un peu plus de sept mille brebis. Aujourd'hui c'est terminé. A Orbaizeta, il ne reste que Valles Legaz et Mikel Zabalza. C'est un peu difficile, très difficile même. Auparavant, on ne nous autorisait pas à vendre notre fromage. Que fait un berger s'il ne peut vendre son fromage ? Seuls les fromages de fabrication industrielle ou semi industrielle étaient autorisés. Les simples bergers ne pouvaient pas vendre leur fromage fait en montagne ou à la ferme. Des normes d'hygiène imposaient cette interdiction. C'est à cause de réglementations comme celles-ci qu'inexorablement les bergers ont disparu. Les vieux sont morts et leurs enfants n'ont pas repris l'exploitation. Ils sont allés travailler en ville.
Q : La vie pénible du berger a-t-elle favorisé cet exode des jeunes ? Ont-ils eu peur de la difficulté du métier ?
R : Le manque de confort, la difficulté de vie tout cela a mis un frein au nombre de bergers dans la vallée d'Aezkoa. Autrefois, les bergers se mariaient, avaient une famille, leur femme aidait à la ferme. Durant les mois d'été, le berger partait en montagne pour s'occuper du troupeau. Aujourd'hui, les hommes se marient et partent travailler à l'usine, à Pampelune.
Q : De votre temps, y avait-il une différence entre les bergers Iparralde et les bergers d'Hegoalde ?
R : Non, nous étions les mêmes, exactement les mêmes. Il n'y avait aucune différence.
Q : Y avait-il parfois des confrontations ou des disputes entre bergers ?
R : Non, jamais. Nous nous entendions très bien. Nous nous retrouvions souvent pour discuter autour d'un verre. Nous passions d'agréables moments. Les bergers passaient d'un côté à l'autre de la frontière pour se retrouver.
Q : Et vous-même, avez-vous eu une famille et des enfants ?
R : Non je n'ai eu ni femme ni enfant. Mes frères on tous eu des familles mais je suis toujours resté célibataire.
Q : Est-ce votre métier de berger qui a mis un frein à votre vie de famille ?
R : Non, ce n'est pas cela. Il se trouvait que les jeunes femmes de la vallée préféraient se marier et partir en ville. Là-bas, les hommes et les femmes travaillaient à l'usine. Quelle tromperie, quelle arnaque !
Q : Aujourd'hui vos jeunes collègues ont-ils le même genre de vie que le vôtre ?
R : Aujourd'hui ils peuvent vendre le fromage. Bien entendu, ils sont soumis à des contrôles.
Q : Vous les trouvez comment les montagnes aujourd'hui ?
R : Vides. Ici à Azpegi, il y avait plus de 4 000 brebis.
Q : Vous avez connu la grande époque d'Iraty. Pouvez-vous nous parler de la vie dans les montagnes à cette époque ?
R : Nous restions sur place du 10 mai jusqu'au 10 décembre. C'était une période très longue comparé à aujourd'hui. A cette époque dans notre cabane de montagne, il fallait monter à pied. Il n'y avait aucune piste et encore moins de route. Nous étions totalement isolés. Tout était très loin. Petit à petit les choses ont changé. Des voitures nous amenaient régulièrement du ravitaillement. Puis des pistes, des routes ont été construites et c'en était fini de notre isolement. Durant mes premières années à Iraty, nous étions absolument seuls. Lorsque je me suis installé dans ma cabane à Orion, bien sûr, la vie y était plus facile. Aujourd'hui, de côté-ci des Pyrénées, il n'y a plus beaucoup de bergers. Le gouvernement ne verse pas d'aides ni de subventions aussi facilement qu'en France. Si le gouvernement espagnol le faisait, très certainement notre pastoralisme résisterait beaucoup mieux. Les aides qui nous sont attribuées sont deux fois moins importantes qu'en France, vraiment le minimum. C'est la ruine du pastoralisme.
Q : Pour vous, ce travail était bien plus qu'un travail, c'était votre vie.
R : Oui bien entendu.
Q : Lorsque vous vous retournez sur votre vie comment la trouvez-vous ?
R : C'était une belle vie. Une vie libre. Meilleure vie, plus belle vie, ce n'est pas possible. Je n'ai jamais eu besoin de plus que ce que j'ai eu. Aujourd'hui ce n'est plus la même chose. Je n'ai plus de troupeau et tout a changé. Je m'ennuie un peu.